FOLKLORE
1983 : alors que la vague gothique donnait une nouvel uniforme éphémère au rock anglais, James osaient sortir un premier titre « Folklore », quitte à passer pour les idiots du village.
Toujours aussi emmerdeurs et déroutants, ils se font rares et précieux depuis : une discographie intrigante et des concerts déroutants les ont hissés sur un piédestal solide et définitif, voisin de celui des Smiths.
La liqueur du rock.
Vous semblez tous les quatre particulièrement liés les uns aux autres;
Après un bon concert, oui( rires );Nous avons joué un très mauvais concert il y a quelques jours, c’était la misère qui nous liait toute la soirée. Nous sommes très différents les uns des autres, nous discutons beaucoup, nous avons connu beaucoup de choses ensemble en cinq ans. Chacun d’entre nous est passé par des périodes étranges, c’était très délicat à négocier.
Vous ne souhaitez pas parler de ces périodes ?
Pendant quelques années, trois d’entre nous avions pour habitude de méditer énormément, et quand je dis énormément, c’est vraiment énormément. Nous le faisions hors du groupe, parfois pendant des périodes de plusieurs jours, des heures d’affilée. D’autres se sont intéressés aux arts martiaux, ce genre de choses.
J’allais justement dire que lorsque je vous ai vus la première fois sur scène, vous m’avez fait penser à une espèce de secte;
Non, ce n’est pas ça. Nous avons pratiqué la méditation pendant quelques années mais nous avons arrêté il y a un peu plus d’un an maintenant, parce que le groupe avec lequel nous le faisions s’est dissous. C’était intense, beaucoup trop, un travail trop dur, trop éprouvant. C’était trop organisé et rigide, maintenant nous ne faisons que ce que nous voulons faire, nous choisissons. Nous restions assis à méditer, deux heures par jours, parfois dix heures le week-end ou même des journées entières de dix-huit heures. C’était très exigeant. J’en suis assez fier, mais cela peut aussi vous rendre très arrogant;ou même vous détruire, car vous restez là, assis pendant des heures, alors qu’on a qu’une envie, c’est de sortir courir;
Maintenant que vous avez arrêté, cela ne vous manque pas trop ?
J’ai recommencé récemment, mais je le fais lorsque je le veux alors qu’avant, la discipline de ce groupe était trop dure. C’était trop extrême. En tournée, cela pouvait donner des situations étranges, les uns méditaient pendant que les autres buvaient leur café, deux camps séparés. Mais lorsqu’on est un groupe, il faut faire des sacrifices, on ne peut pas vivre que pour soi-même, il faut trouver un langage commun.
Venez-vous de familles très religieuses ?
Le groupe vient du milieu prolétaire de Manchester sauf moi ( Tim, le chanteur), je suis le snobinard de la bande ( rires);Je viens de la classe moyenne du Yorkshire. Mon père était assez religieux, c’était une espèce de chrétien distrait, un chevalier-gentleman;Mais rien de positif, alors qu’avec la méditation on agissait, c’était du concret.
Comment vivez-vous à Manchester ? Etes-vous impliqués dans la scène musicale ?
Nous sommes à part. Mais je ne crois pas qu’ils existe véritablement une scène musicale à Manchester, la plupart des groupes sont à part. On fait son propre truc, on ne fait rien en commun, on ne partage pas. Il n’y a aucun sentiment de communauté à Manchester, ce n’est pas comme si tous les musiciens créatifs jouaient dans leur secteur avec un but commun. Ce sont juste beaucoup de gens qui habitent là, qui forment des groupes parce qu’ils s’ennuient. Certains d’entre eux deviennent plus connus et peuvent en vivre, c’est tout. Les groupes sont très différent les uns des autres, il existe de très bons groupes de jazz, et les Smiths, New Order, The Fall et Black;Simply Red;les deux extrêmes;Ten CC ( rires );
Morrissey, des Smiths, nous a dit qu’il a été très déçu par les groupes qu’il avait aidé, que James était le seul avec lequel il avait gardé de bonnes relations, malgré quelques problèmes;
(rires);L’un des problèmes a été que j’ai essayé de l’entraîner à méditer (rires);Je ne crois pas que ça pourrait bien marcher avec lui;L’autre problème a été qu’ils voulaient nous emmener sur une tournée américaine et nous avons annulé une semaine avant le départ, ce qui l’a déçu énormément car il nous avait beaucoup aidés, ils ont eu l’impression qu’on les laissait tomber. Mais à part ça, on s’entend toujours bien, il est venu nous voir lors de notre dernier concert à Londres.
Quel effet vous a fait la dissolution du groupe ?
Pas grand chose. Nous ne leur avons jamais ressemblé, musicalement, même si les gens nous mettaient dans le même sac. Il y a quelques points communs, ils sont végétariens, nous aussi;Mais c’est étrange car nous existions deux-trois ans avant eux et les gens ont dit qu’on leur ressemblait, ce qui était agaçant. Mais le contraire n’aurait pas été plus juste, ils n’ont rien pris chez nous, ils étaient vraiment indépendants. Il y avait aussi des similitudes quant à nos styles de vie, car nous ne menions pas la vie de la scène rock habituelle. A cause de ça, nous devions, dans nos interviews, ne pas trop dévoiler notre façon de vivre, pour qu’on ne nous rapproche pas trop d’eux. Je crois que je n’ai parlé de la méditation qu’une fois auparavant. Les gens ne nous auraient pas compris.
Vous aussi êtes végétariens;
Trois d’entre nous le sont. Nous le sommes devenus car cela faisait partie de la discipline méditative. Mais c’était plus que ça : pas d’alcools, pas de drogues.
Vous avez d ‘ailleurs joué pour des concerts anti-alcool;
Ce n’était pas vraiment ça, ce n’était pas vraiment anti-alcool. C’était une espèce de programme d’éducation qui insistait sur les dangers de l’alcoolisme sur des choses pratiques, ce n’était pas pour condamnes l’alcool. C’était juste pour renseigner à propos d’une drogue, car c’est une drogue à part entière. Mais bien sûr , ça a été perçu comme une campagne puritaine (rires);On a été étiqueté. C’était une amie qui organisait tout ça, on devait l’aider. Nous ne sommes pas contre la viande ou contre l’alcool, nous sommes pro-végétariens et pour la prévention de l ‘alcoolisme. Il ne s ‘agit pas d’être contre quelque chose, nous sommes positifs. Maintenant tout le monde boit de l’alcool dans le groupe, mais pas de manière extrême;Cela va sonner très péjoratif sur l’Ecosse : en tournée, nous sommes passés par certaines villes, comme Aberdeen, où le problème de l’alcoolisme est absolument terrible, aussi épouvantable que l’héroïne, sauf que c’est légal. Il est important de simplement souligner ces choses-là. En ce qui concerne le végétarisme, ce n’est pas un problème pour nous : chacun d’entre nous pourrait très bien re goûter à la viande un jour ou l’autre. C’est la presse qui en a fait une grosse affaire. Notre musique semble attirer la frange mode, avant-gardiste de la presse, qui aime Nick Cave et ce genre de choses, une musique plus radicale. Ce qu’ils ne peuvent pas supporter, c ‘est que nous n’ayons pas l’apparence « rock ». Ils n’aiment pas ça, mais alors pas du tout !!! Ca ne correspond pas à leur image. Nous avons eu des critiques où ils admettaient aimer, mais presque à contre-cœur, ils disaient « ils ont l’air de cons, ils ne se bourrent pas, ils ne mangent pas de viande, mais ils jouent de la bonne musique ». Voilà les réactions que nous avions, celles de gens à l’esprit étroit, bloqués dans leur propre image. Au début, on les faisait marcher, on était des emmerdeurs;Nous avons joué avec New Order, tout était sérieux et lugubre, nous ressentions le besoin de jouer des chansons folles et stupides, il fallait le faire, tellement l’environnement était misérable et gris. Il fallait se comporter de manière stupide. Nous le faisons moins maintenant, mais nous avons toujours tendance à réagir, nous avons beaucoup de chansons agaçantes, méchantes, agressives. D’autres soirs, lorsque le public semble sage et calme, le public des Smiths, on lui jouera des morceaux durs et rapides. On a tendance à choisir le contraire de ce qu’ils aimeraient entendre. Mais finalement, il aime toujours ça.
Connaissez-vous votre public ?
Il y a de tout. Il y a encore cette frange liée à Factory, le reste est un croisement de tout ce qui peut exister. Les gens qui ont le plus de difficultés pour venir à nos concerts sont ceux habillés de cuir noir, car ils n’aiment pas notre image. Certaines de nos chansons parlent de ça, du besoin des gens de porter un uniforme. Car c’est un problème, ils pourraient aussi bien être soldats;manque de sécurité, de confiance sans doute.
Vous avez sorti vos deux premiers 45t sur Factory. Comment êtes-vous arrivés sur le label ?
Ils sont venus nous voir à un concert et ont trouvé ça bien. « Voulez-vous faire un album avec nous ? » nous ont-ils demandés. « Non !!! » Et un peu plus tard »Voulez-vous faire un maxi avec nous ? » « Non !!! »(rires);et nous avons dit que nous voulions faire un single. Ils nous ont spécifié sur feuille tous les titres qu’ils voulaient que nous enregistrions, mais nous ne voulions pas enregistrer d’entrée nos meilleurs morceaux, nous avons donc choisi librement nos chansons les plus faibles. Ils ont d’abord été très embêtés, mais les morceaux sonnaient très bien en studio finalement;Ensuite, ils sont revenus à la charge avec leur album et leur maxi;et on a enregistré notre deuxième 45t !(rires);Nous ne voulions pas que nos chansons soient gâchées. Nous les chérissons, car nous y mettons beaucoup de nous-mêmes, trop, nous sommes trop sérieux quand il s’agit des chansons. Nous étions comme des mères possessives, nous ne voulions pas les laisser partir de chez nous, comme des mères qui veulent toujours prendre toutes les décision pour leurs enfants, ne pas les laisser grandir eux-mêmes.
Etes-vous toujours aussi sérieux avec vos rejetons maintenant ?
Ca va mieux, il le fallait. Les concerts, c’était la même chose. Ca ne pouvait pas être un simple concert, il fallait que ce soit à chaque fois une expérience unique. Nous pouvions rester des semaines à nous préparer mentalement pour un concert, c’était infernal. Je perdais toute notion de proportion des choses;Nous pensions être tellement spéciaux qu’il fallait faire de chaque concert un événement historique unique, nous improvisions beaucoup, maintenant encore.
Beaucoup estiment que vous êtes le groupe le plus « out of time », hors des courants, des modes, intemporels;On est incapable de discerner la moindre influence;
Au début, si nous pouvions, dans nos morceaux, sentir une quelconque influence, ou si quelqu’un du groupe sonnait comme quelqu’un d’autre, nous jetions immédiatement le morceau, même s’il était bon. Encore une fois, nous sommes maintenant devenus moins rigides, parce que tout le monde finalement est influencé. Et nous avons dû dans le passé jeter trop de bons morceaux sur lesquels personne, à part nous, n’aurait trouvé la moindre influence directe;Mais nous, nous pensions « oh oui, ça sonne trop comme la quatrième mesure de tel morceau, sur un album live obscure de 1969 » (rires);En plus, depuis que je suis dans le groupe, nous n’avons pas fait une seule reprise, même pas en répétition. On n’y a même jamais pensé. De toute façon, nous avons tous les quatre des goûts musicaux totalement différents. Comme nous écrivons les chansons ensemble, personne n’a de contrôle sur le son final. C’est pour ça que nos chansons sont bizarres ; à cause des ingrédients que chacun de nous apporte au résultat final;
Est-ce que l’on serait étonné si vous nous disiez le genre de musique que vous écoutiez dans le passé;
Non, pas vraiment; Gavan, le batteur, adore Led Zeppelin, est-ce que vous êtes étonnés ?(rires);et il adore le jazz;Je ne sais pas trop pour Jimmy, il écoutait The Jam et The Fall quand nous avons commencé le groupe, il y a des années;J’aime Jimi Hendrix, Captain Beefheart, Television;
C’est étonnant de vous voir réunir des influences aussi diverses, vous qui avez tant d’unité, une personnalité si forte;
Merci. Comment voulez-vous répondre à ça (rires);nous nous respectons beaucoup entre nous, et nous puisons une grande partie de notre influence chez les autres membres du groupe. Il n’y a aucun groupe de nos jours chez qui nous pouvons trouver l’inspiration;juste quelques trucs;Nick Cave & The Birthday Party;nous étions tous très fan, à part Jimmy, c’était un sacré groupe (souffle admiratif);De façon individuelle, nous avons aimé quelques morceaux, des choses de Stump, par exemple, mais rien ne nous a tous marqués depuis Birthday Party. Nous écoutons surtout des choses de l’époque où les musiciens aimaient la musique et n’étaient pas là pour vendre. Tous ces groupes que nous avons cité ont commencé parce qu’ils adoraient la musique, par pour gagner des millions de dollars;Cet appât du gain domine toute l’industrie du disque;Je me souviens quand j’étais plus jeune, j’étais très amoureux de Patti Smith;c’est ma grande influence. Ses concerts étaient tellement; uniques;elle poussait les choses le plus loin possible, improvisait;J’ai peur pour son nouvel album. Pour moi, ce qu’elle a fait de mieux est le pirate sorti juste avant « Horses »;Tellement choquant;les musiciens jammaient pendant qu’elle hurlait sa poésie. Quand Lenny ( Kaye, ex-guitariste du Patti Smith Group, ndlr) est venu produire notre premier album, il nous a donné d’excellents pirates;Par exemple la première répétition de Lenny Kaye et Patti Smith, juste deux, en train de reprendre des trucs de Brecht, « Mack the Knife »;
Comment s’est passé l’enregistrement avec Lenny Kaye ? Votre premier album avait, à l’époque, beaucoup surpris;
C’est vrai que ce n’était pas du tout un album commercial; Nous étions très naïfs à propos de notre force de vente; Nous pensions « c’est de la pop, les gens aimeront ça » (rires); Nous avons été surpris; Nous n’avons eu aucun problèmes avec Lenny, mais nous lui en avons donné beaucoup. Nous étions très possessifs avec nos enfants, nos chansons, et nous ne voulions pas lui laisser faire quoi que ce soit;le pauvre; Nous avons bloqué ses initiatives. Mais nous l’adorons, nous nous téléphonons souvent, nous sommes restés très proches, nous nous revoyons à chaque fois qu’il vient en Grande-Bretagne ; Il est super, un homme adorable, très drôle, une des personnes le plus attachantes que nous ayons rencontré dans ce business;
Pourquoi ne pas l’avoir choisi pour le second album, alors ?
Non; Nous ne pouvions pas (silence); Il était temps de passer à autre chose de différent. Mais la fabrication du deuxième album ne s’est pas très bien passé. Nous avons dû tout remixer, ou presque;
Hugh Jones, que vous avez choisi pour cet album, n’est pas, à priori, un producteur très subtile, surtout pour un groupe comme vous;
Le problème était de savoir avec qui aller ! Nous ne savions pas qui choisir quand Hugh est venu nous voir à la fin du concert, et il a su nous impressionner. Il nous a vraiment beaucoup critiqué, nous a insulté; personne ne l’avait fait avant; nous avons alors décidé qu’il était notre homme (rires); « Ok, montre nous ce que tu sais faire, grosse tête » (rires); Il nous a montré, et ça n’a pas marché; il a vraiment bien enregistré les chansons, mais ne nous a pas du tout convaincu au mixage. Il avait entendu nos premiers singles sur Factory, et ça l’excitait beaucoup; il pensait que nous n’avions pas réussi, sur le premier album, à recapturer le feeling de nos premiers singles, et il a beaucoup travaillé pour essayer de retrouver ce son;c’est dommage qu’il ait échoué au mixage;
Ce nouvel album sera-t-il une suite naturelle à « Stutter » ?
Oui, une progression très naturelle;mais il y aura pas mal de surprises. Je pense qu’il sera plus accessible, avec quelques singles dessus. .. Il ne faut cependant pas croire que nous ayons dû faire des concessions; nous avons compris pourquoi « Stutter » prenait tant de temps à séduire; L’ordre des chansons par exemple, peut faire une différence énorme. Les deux premiers morceaux sur « Stutter » étaient les plus mal produits de l’album. Il en résultait que la mauvaise impression durait ensuite pendant tout le disque; Tu ne peux pas te rendre compte à quel point ce genre de chose peut affecter les ventes; Nous n’avons pour l’instant qu’un titre provisoire pour le nouveau; il devrait s’appeler « If things were perfect »;de vieux souvenirs ! Quant à savoir s’il sera une suite vraiment logique à « Stutter », je crois que ce serait vraiment difficile de donner un prolongement naturel à quelque chose d’aussi bizarre, non ?
C.WHATSHISNAME & JD BEAUVALLET (Les Inrockuptibles- n°10-February/March 88